Harcèlement moral au travail : le rôle déterminant de la médecine du travail #
Décrypter le harcèlement psychologique en milieu professionnel #
Le harcèlement moral en entreprise est strictement défini par l’article L1152-1 du Code du travail et l’article 222-33-2 du Code pénal. Il s’agit d’agissements répétés – gestes, propos, remarques, instructions – qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte à la dignité, aux droits ou à la santé physique ou mentale du salarié.
Il n’est pas nécessaire que le harceleur agisse avec une intention consciente de nuire. Le simple effet délétère de ses actions, même sans préméditation, suffit à qualifier le délit, selon la jurisprudence de la Cour de cassation (notamment l’arrêt du 10 novembre 2009).
- Mise à l’écart (« placardisation ») : privation de tâches ou missions, marginalisation lors des réunions.
- Remarques humiliantes récurrentes ou injures, assignation d’objectifs impossibles, surveillance abusive.
- Actions déstabilisantes : modification unilatérale et injustifiée du poste, ostracisme décidé par plusieurs membres d’une équipe ou d’un management.
Les auteurs de harcèlement moral n’appartiennent pas exclusivement à la hiérarchie : on note des situations de harcèlement horizontal (entre collègues, comme dans l’affaire France Télécom ayant conduit à la condamnation de ses dirigeants en décembre 2019), mais aussi de harcèlement ascendant (subordonnés vers manager).
Les symptômes physiques et psychiques mis en évidence par la médecine du travail sont multiples : troubles du sommeil, perte d’appétit, idées noires, palpitations, dépression, manifestations anxieuses. Un rapport de la Haute Autorité de santé (mars 2023) souligne que plus de 68 % des victimes font état de troubles somatiques avérés.
Signaux d’alerte et repérage précoce par la médecine du travail #
La médecine du travail identifie les situations à risque par l’analyse de signaux faibles et la prise en compte du récit du salarié. Les consultations régulières permettent de repérer l’émergence de troubles liés à un contexte délétère. Les professionnels de santé utilisent des outils standardisés, tels que les questionnaires DASS (Depression, Anxiety, Stress Scales), ou des entretiens individuels approfondis.
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- Réapparition ou chronicisation de pathologies, troubles musculo-squelettiques sans cause physique claire.
- Absences répétées ou prolongées sans justification médicale classique.
- Isolement social du salarié, plaintes récurrentes de mésentente, anxiété manifeste lors des entretiens.
L’instauration d’un climat de confiance repose sur le secret médical absolu encadré par l’article R.4624-42 du Code du travail. Selon le rapport du Conseil national de l’Ordre des médecins publié en mai 2022, 57 % des alertes concernant des cas présumés de harcèlement moral auraient été révélées lors de consultations confidentielles.
Actions et leviers de la médecine du travail face aux situations de harcèlement mental #
Les réponses de la médecine du travail sont multiformes, inscrites dans le protocole national de prévention du harcèlement moral diffusé par le Ministère du Travail (édition revue en janvier 2024). Le médecin du travail possède une indépendance fonctionnelle totale pour préconiser des mesures sans pression de l’employeur.
- Entretiens individuels approfondis pour comprendre le contexte, établir la gravité des faits, et évaluer les répercussions somatiques et psychiques.
- Préconisations confidentielles à l’employeur : aménagement temporaire ou définitif du poste, changement de service, télétravail, horaires adaptés.
- Interventions pluridisciplinaires associant psychologues, infirmiers, ergonomes, comme au sein de l’APST Parisienne (Association de Prévention en Santé au Travail) dès 2021.
- Orientation vers des structures externes : cellule d’écoute spécialisée, association d’aide aux victimes (AVFT), consultation médico-psychologique hospitalière.
Les actions sont protégées par le cadre légal. L’article L4624-7 garantit que les préconisations du médecin du travail priment sur toute contestation patronale, sauf expertise indépendante. Le suivi médical s’inscrit dans la durée — le médecin assure la traçabilité des entretiens, l’adaptation du monitoring psychologique, et la prévention des risques de récidive.
Collaboration entre salarié, médecin du travail et acteurs externes #
Les cas de harcèlement moral mobilisent un réseau de corégulation qui implique plusieurs instances au-delà du seul dialogue salarié-médecin. Depuis la réforme sociale introduite par la loi Santé Travail de mars 2022, la collaboration entre la médecine du travail, le Comité Social et Économique (CSE), les délégués syndicaux, l’Inspection du travail et les référents RPS (risques psychosociaux) est renforcée.
- Transmission de signalements, après accord du salarié, vers les instances représentatives pour déclencher une enquête interne.
- Saisine de l’Inspection du travail dans les cas les plus lourds : les inspecteurs (DIRECCTE Île-de-France) ont traité 340 dossiers en 2023, avec mobilisation des enquêtes administratives.
- Remontée d’éléments factuels auprès des juridictions prud’homales, tout en respectant le secret médical et la confidentialité du dossier médical.
Les échanges se font dans le respect de la réglementation RGPD et des cadres de transmission d’informations sensibles. Les médecins du travail contribuent à constitutionner des éléments de preuve utilisables en juridiction prud’homale, contribuant ainsi à la reconnaissance d’un préjudice réel.
Responsabilités de l’employeur et obligations légales en matière de prévention #
L’arsenal juridique impose à tout employeur (article L4121-1 du Code du travail) une obligation de sécurité de résultat s’agissant de la santé physique et mentale de ses salariés. En avril 2024, la Caisse nationale de l’Assurance Maladie a recensé 1 120 arrêts de travail motivés par un signalement de harcèlement moral avéré.
- Plan de prévention des risques psychosociaux : cartographie des risques, protocoles de signalement, nomination d’un référent discrimination-harcèlement.
- Sensibilisation obligatoire : formation annuelle des managers, modules RPS, campagnes internes menées par Orange France Télécom dès janvier 2021.
- Procédure structurée de traitement des alertes, avec point de contact anonyme, cellule d’écoute et document unique d’évaluation des risques (DUERP).
- Évaluation et mesure : suivi statistique interne du nombre de signalements, durée de traitement, taux de satisfaction des victimes.
Les manquements à ces obligations exposent à des sanctions disciplinaires et pénales (jusqu’à 30 000 euros d’amende et 2 ans de prison, selon l’article 222-33-2 du Code pénal). L’accompagnement du salarié par le médecin du travail lors d’un signalement devient alors une garantie juridique et humaine.
Préserver sa santé tout au long du parcours d’accompagnement #
Lorsque l’on traverse une situation de harcèlement moral, il convient d’utiliser tous les leviers pour préserver sa santé et documenter son parcours. La collecte méthodique de preuves et l’auto-surveillance des symptômes sont recommandées par le Réseau Souffrance et Travail depuis janvier 2023.
- Tenue d’un journal de bord : noter chaque événement daté, en précisant témoins et impacts constatés.
- Préparation des rendez-vous médicaux : lister les symptômes avec leur fréquence, apporter les correspondances ou mails problématiques.
- Mobilisation des ressources internes : solliciter le référent harcèlement, contacter le service RPS, mandater un syndicat (CFDT, secteur BTP Lyon, ayant accompagné 73 dossiers en 2023).
- Soutien externe : plateformes d’écoute telles que SOS Harcèlement, recours à un accompagnement juridique.
La prise en charge globale, pluridisciplinaire, permet à la victime de respecter son rythme, d’éviter la culpabilisation et le repli. Le renouvellement du suivi médical par la médecine du travail — incluant, si besoin, un arrêt de travail ou une reconnaissance en maladie professionnelle — constitue une étape primordiale pour retrouver l’équilibre.
Plan de l'article
- Harcèlement moral au travail : le rôle déterminant de la médecine du travail
- Décrypter le harcèlement psychologique en milieu professionnel
- Signaux d’alerte et repérage précoce par la médecine du travail
- Actions et leviers de la médecine du travail face aux situations de harcèlement mental
- Collaboration entre salarié, médecin du travail et acteurs externes
- Responsabilités de l’employeur et obligations légales en matière de prévention
- Préserver sa santé tout au long du parcours d’accompagnement